[carnet de bord] 14, 15 & 16 juillet

Une marche en Islande
14 juillet - 12 août 2012

Je retranscris dans ce carnet un journal de bord noté au fil des jours et des heures, mais d'en d'incompréhensibles graphies indéchiffrables pour quiconque, y compris son auteur.

Ce voyage n'est ni une aventure de l'extrême, ni une parenthèse introspective dans une vie perturbée. Sans appareil photo, sans web-mail-phone, sans livre et sans mp3, j'ai simplement cherché à vivre "l'ici et maintenant" en solitaire, à inventer une marche — au sens des inventeurs de grottes—, faux-naïf mais vrai-surpris.

Ce journal est surtout une mémoire pour le voyageur. Certains y trouveront quelques rares renseignements pratiques, quelques indications souvent gardées secrètes par les marcheurs initiés, en Islande ou ailleurs, mais surtout des incises nombreuses dont le marcheur espère qu'elles n'assommeront pas trop l'éventuel lecteur.

Ce carnet de notes est émaillé de musiques. Elles ont, en pensée, rythmé la marche.


------------------------------------------------------------------- 
"The reality says more than 1000 pictures"
Slogan publicitaire de la Smyril Line

"Both Duchamp and Nabokov loved chess. It was the perfect model for an art whose appeal, as Duchamp liked to say, would no longer retinal but intellectual."

Dans une revue d'art contemporain islandaise de 2009 feuilletée dans un café.
-------------------------------------------------------------------



14 juillet

Entre la gare Montparnasse et la gare du Nord, un crochet, avec mon sac, à l'exposition du rouleau de "Sur la route" de Jack Kerouac, au musée des lettres, Bd St Germain à Paris. Quelle meilleure introduction au voyage ?

Je fais un dessin mou du sac très mou de Kerouac. Quelle misère ! Je me demande si le sac est vrai tant il y a de copies d'objets présentées dans cette expo.

Je relève dans la présentation un passage expurgé des éditions du texte jusqu'à la dernière réédition chez Gallimard. Tout l'esprit beat est là présent.
"Je les ai entendus ébranler leur lit à coups redoublés dans leur frénésie ; à ma stupéfaction, j'ai compris qu'ils étaient dirons-nous en train de se dévorer et que c'était une pratique courante entre eux. Il fallait avoir tiré cinq ans de taule pour se livrer à des extrémités aussi démentielles : Neal comprenait dans son corps les sources de toute béatitude ici-bas : suppliant aux portes mêmes de la matrice, il essayait d'y entrer une bonne fois pour toutes, de son vivant, avec, en plus, la libido effrénée et le tempo d'un vivant."
Ça commence très chaud ce périple.

Gare Eurolines à Gallieni. Embarquement pour Aalborg avec une bande de scouts du Havre qui vont à une concentr' au Danemark. Un chauffeur hors d'âge, plié en deux, qui tousse ses clopes, mais super conducteur.
Sur les routes belges, les lampes innombrables qui commencent à s'allumer passent du rouge indien irridescent au jaune parme luminescent.



15 juillet

2 : 00. Montée de 8 scouts allemandes. On est tout à coup moins à l'aise dans l'espace des sièges ; mais, nuitamment, la jeune fille sur le siège à côté s'effondre sur mon épaule pour dormir. Elle a saisi l'infinie capacité d'accueil sur ma poitrine. Irrigation de douceur.
Etonnamment, cette figure se rapporte à celle d'un de mes clones — vous savez ce grand mec quasi chauve, avec des lunettes et une boucle d'oreille —,  croisé à l'embarquement dans le ferry, qui portait sa fille dans ses bras.

Au petit matin, changement de bus à Hambourg. 1 heure de ballade dans la ville vide vide. Vue sur Summer Hambourg occupy.
J'ai décidé d'attendre à Aalborg une journée avant l'embarquement sur la ferry. Camping : grave arnaque financière (20 €). Ballade dans la ville mais comme on est dimanche, il n'y a personne. Les danois semblent vivre sur l'arrière de leur maison ou de leur petits immeubles, dans des petits jardins ou petites cours. Les fenêtres en façade sont toujours parées de plantes et de bougies. Tant de drapeaux danois sur chaque parcelle.
Malgré le peu de personnes, je suis plongé dans l'atmosphère de la série Borgen que j'ai regardé cet hiver à la télé.

Voir sur le site d'ARTE : http://www.arte.tv/fr/4317466.html

Pâtes chinoises, lait, chocolat dodo 21 h


16 juillet

Nuit de 11 heures (après celle très perturbée du bus, ça semble normal)
Je prendrai le bus pour Hirshals à 13 h 30. D'ici là, dessin sur le port en évitant les averses. Rencontré Craig, le marin bricoleur.


Bande son : A question of time de DEPECHE MODE
Craig est un grand type tous poils dehors de soixante cinq ans. Il a ouvert la porte de son cabanon-atelier — rempli de machines-outils et de bois de toutes essences —, pour accueillir le dessinateur surpris par l'averse. Après une vie professionnelle de fonctionnaire, il passe la deuxième partie de sa vie à Aalborg sur son bateau en bois qu'il répare et entretient à longueur de journée. "Pas très loin de la compagnie des hommes et des femmes, mais suffisamment en retrait, ça me convient bien" explique-t-il en guise d'au revoir.

Si je veux rencontrer plus de gens, il faut que je leur adresse la parole : "Parle au gens, marco, parle aux gens !"
13 h 30 : bus + train. Un pont ferroviaire est en réparation.
Hirshals : camping. Quand je dis au mec de la réception que je vais en Islande et qu'il voit mon mode routard, il me fait un prix. C'est une rencontre de vikings.
Ballade dans la ville. Retiré 500 DK. 16 h, mangé des filets de flétan avec des frites à la terrasse ensoleillé du café central, face à la mer.
Repérage au port pour ne pas être en retard à l'embarquement du ferry demain matin. Je m'aperçois qu'il faudra 3/4 d'h de marche pour aller du camping à l'embarcadère.
Observé l'incroyable chantier de réhabilitation de la plateforme pétrolière "Mærsk Giant" et la relève des équipes de travail avec leurs vêtements spécifique en fonction de leur corps de métier, le harassement de ceux qui ont travaillé et la décontraction de ceux qui vont travailler.
D'ailleurs je trouve sur ce journal danois des photos dont une est l'exact point de vue que j'ai observé.
Bente Poder

Courses au supermarket : soja, chocolat, salade.
Bader devant les 4x4  & camping-cars délirants dans le camping.
Ballade du soir autour du très beau phare de la falaise.

Petit dessin d'après un dépliant touristique

Coucher de soleil du haut du phare. Couché 21 h 30 pour un lever à 6 h 30.

[carnet de bord] 19 & 20 juillet


19 juillet

Lever 6 heures. Légère crève due aux nuits avec la clim dans les couchettes du ferry. Début de la première journée islandaise. Vue du fjord de Seydisfjordur du pont supérieur. A quai. Quelques renseignements à l'office sur les bus. Coup de fil à Cat avec carte prépayé sur le téléphone du proposé à l'office. Bus pour Egilsstadir à 8 h 30 avec des français rencontrés à Hirshals.
Egilsstadir. Achat bouffe roborative. Avant le bus direction Myvatn à 13 h, ballade surplombante du bourg.
Bus. Je me fais descendre au crossroad de Grimsstadir sur la F864, juste avant le pont sur la rivière Jokulsa a Fjollum. Et je fais du stop en marchant. Je crie mon plaisir d'être sur la piste. Pris rapidement par une famille française avec un enfant de 5 ans, en camping car. Le type m'a pris parce que 20 ans auparavant, il avait fait du stop exactement au même endroit.
Noté : "Il y a 20 ans, faut voir comment on était isolé. Quand je suis revenu en France, je ne savais même pas que Michel Berger était mort 3 semaines avant." — "Oui, effectivement, c'est dingue." Je n'étais pas obligé de renchérir, mais j'étais perplexe.

Piste en tôle ondulée infernale pour les tressautements et les nerfs. Arrêt à Dettifoss, sur la rive droite. Un dessin naz, mais le premier en Islande.



A pied pendant une heure en faisant du stop au milieu de pseudo-volcans. Une famille d'espagnol parents/enfants me prend. Des sauveurs car il me restait 20 bornes et qu'il n'y a quasi aucune voiture. Vive l'Espagne, Durruti, reviens !!
Je leur demande de me laisser bien avant le dernier pont que je puisse profiter du landscape.
Je marche une heure et passe le pont à pied. Des oiseaux m'attaquent !! J'apprendrais plus tard que ce sont des sternes arctiques qui défendent toute intrusion sur ce qu'ils considèrent comme leur territoire.
Camping classe au pied des falaise de l'Eyjan.
Je mange et vais marcher au coucher de soleil sur l'Eyjan (1 heure A/R). J'avais rêvé d'être en ce lieu par les images et plans sur le web. J'y suis ; c'est extra. Une ombre gigantesque se déploie sur le fond de la vallée ; la lumière est orange, le temps est au soleil le plus net.

Cliché n°2 pour l'album Islanduchronie II avec des autrichiens, les seules personnes avec moi à cette heure sur cette montagne.

Par Peter Pany, la photo 3, le 19 juillet, en haut du Asja, près Asbirgy. Ce qu'on a du mal à comprendre sur la photo, c'est que nous sommes en haut d'une falaise de 50 mètres, et que l'ombre au sol se déploie dans la vallée au-dessous, fermée par une autre falaise de 50 mètres en face.
Je ne sais pas comment dessiner ce foutu monolithe, j'enrage !



ABSOLUMENT TOP. Un doute m'assaille. Ce sera toujours comme ça ce voyage, conforme à toutes mes prévisions ? C'est le syndrome du film Bagdad Café : Too much harmony !


20 juillet

Départ à 7 h 30. Premier réveillé, premier parti.
Traversée de la vallée, montée de la falaise suivi jusqu'en face de la pointe du Eyjan. Temps clair +, presque soleil. Traversée du plateau vers la rivière Jokulsa a Fjollum. Suivi des falaises.
Incroyable, rencontré une joggeuse allemande sans eau avec deux heures derrière elle et deux heures devant. Arrivée à Verstudalur, petite aire de camping, à 12 h 30. Manger lyo et re-départ. un peu de pluie, paysages d'enfer qui s'enchaînent : déserts, feuilles, chaos, canyon, falaises, orgues.

 
Passage de mon premier gué en croisant un groupe d'allemands.
Cliché n°3 pour l'album Islanduchronie II par une jeune allemande très cool.
Suit un paradis de verdure et de fleurs le long d'un torrent, puis gros désert, suivi d'une longue faille en canyon très belle et très menaçante.

Note : Un holocauste de couleurs où tout est rabattu dans les gris, par la lumière...
Ça commence à tirer sur la bête, sans doute déjà une trentaine de kilomètres. Arrivée sur le tout petit camping planqué de Dettifoss : une simple étendue de poussière avec deux bidons d'eau de 25 litres. 3 tentes.
Le camping au matin. le soleil passe sous les nuages, rase les pentes et brûle comme si c'était le soir.
Ahuri de fatigue mais comme le moteur est emballé, je plante la tente et vais direct sur la chute de Dettifoss. A cette heure là, 2 personnes sur le lieu.
Ça m'aura fait plus de 35 kms aujourd'hui. Basta. Lyo + coucher avec un peu de Doliprane ; la crève due à la climatisation des couchettes du ferry semble s'éloigner.

[carnet de bord] 23 & 24 juillet


23 juillet

Départ à 8 h 00 pour la sprengisandur, sur la route F26 qui mène de Myvatn à Landmannalaugar, un des plus long trajets en bus de toute l'Islande.
Le temps est très bouché et bus fruste mais confort, piste défoncée à partir d'un certain moment, des gués plutôt faciles, longé et traversé les déserts, vu les glaciers ; il pleut. Est-ce le régime météo que je subirai dans les prochains jours ?
pluie n°1 / Bus Sprengisandur

pluie n°2 / Bus Sprengisandur

pluie n°3 / Bus Sprengisandur

pluie n°4 / Bus Sprengisandur
cliché n°5 avec un allemand alors que je dessine un camion lors d'une halte.

par Stefan Brainbauer, le cliché n°6, le 23 juillet, sur la route F26, la Sprengisandur.


Ce dessin où je lâche enfin le trait déclenche ceux qui vont suivre tout au long de la marche.

Incise pour évoquer le cas de ces marcheurs qui, pendant 50 km, ont salopé la piste en marchant à 20 mètres à l'intérieur du désert de cendres. Ils ont marqué pour des années le paysage. Ça s'appelle dénaturer (au sens propre du terme). Des campagnes de com sont menées dans les points de tourisme pour alerter sur les conditions géologiques et climatiques particulières de l'Islande qui font qu'un paysage marqué le sera très longtemps.
J'imagine, dans le roulis chaotique du bus sur la piste, l'histoire de l'érection d'un monument commémoratif de l'exécution par des rangers des deux marcheurs pris en flagrant délit, sans autre forme de procès, en vertu d'une récente loi islandaise.

Arrivée à Landmannalaugar à 17 h 30. Pluie en averses ; beaucoup de monde et une certaine excitation générale ; je plante la tente dans une mare d'eau.
La pluie s'arrête ; les campeurs marcheurs s'adressent alors la parole pour commenter le trek à venir ou déjà effectué (Laugavaudur).
dessins, ça commence à venir un peu depuis les dessins réalisés dans le bus.

Le site du camp au pied du champ de lave qui marque la fin ou le début —selon, de la laugavaudur.

Longs commentaires devant les cartes avec nombre de marcheurs. Je discute pas mal de temps avec une italienne qui a payé un guide avec un groupe pour faire le trek et qui regrette de ne plus pouvoir le faire en solo.
J'avais décidé de rester à Landmannalagaur pour la journée de demain. Je m'en tiendrais à ce programme.
Le bain chaud est envahi par toutes les personnes qui descendent des quelques bus de ballade à la journée. J'en dénombre 74 au même moment ce soir. Je ne ferai pas partie de cette macération collective.
J'explore toutes les facettes du camp. Dodo à 23 h 30 avec des boules Quies car il y a un vacarme d'enfer sur l'ensemble de la prairie.


24 juillet

7 h 30 déjeuner lyo puis départ pour le Ljotipollur, un volcan que je pense d'enfer. A peine réveillé semble-t-il je me trompe de route. Une demi/heure de perdues. Je ne compte pas vraiment mon temps mais je rage un peu de faire demi-tour. Tour du cratère seul. La face Nord-Est est très rude et impressionnante à parcourir. Le site est pure merveille. Retour au camp à 12 h.

Le cratère du Ljotipollur (par Thrudur84). Image post-voyage de l'album Islanduchronie II.

Flash ! Dans le bain naturel du camp, 5 personnes. Je me joint à eux. 6 personnes pendant une heure. Délice.
Sandwich. Ballade vers le mont Skalli.


Au loin, des cônes se scories grises, des champ de lappillis cendreux noirs et ternes. Sur le chemin noir de péritonite exhumée par quelque machinerie gigantesque, traverse caillouteuse et scarifiée, rainurée de stries grises et bleu-foncées des pyroxènes, — soudain —, une veine d'ocre-rose lamellée de ryolites claires, comme si subitement, on éclairait la tenue de grains luminescents de jaune blême en la poudrant de la rouille la plus dense.

Au beau milieu d'une miscellanées de verts, vert-jaune de l'olivine, verts-foncés d'antiques pyroxènes, verts-jaunes quasi sans bleus d'herbes déjà fanées, verts-bleus quasi sans jaunes de myrtilliers sans fruits, avides des moindres poussières de lœss, une entaille de pischtone noir à l'éclat gras, noir de pluie d'orage sur le charbon noir, noir de l'attaque acide des vapeurs soufrées, noir de perdition.
Au retour, échantillons de pierres et je profite d'un isolement désormais habituel pour errer sur le fond plat de la vallée et m'absorber dans les couleurs inimaginées des montagnes alentours.


cliché n°6 avec un français.
Café et dessin des bus avec de vieux israéliens.

Hey, Hey, My My (into the black) de Neil Young
 
Hanna est israélienne. Elle a soixante et onze ans et c'est la fille de l'un des passages de l'Exodus. Elle fait partie d'un groupe entier de sexagénaires qui parlent extrêmement bruyamment et — stupéfaction —, yiddish en ces hautes terres de Landmannalaugar. Par quelles intentions touristiques sont-ils ici ? Cela reste un mystère pour le marcheur perplexe qui se prépare à entamer la laugavaudur, l'un des plus célèbres trek du monde, en buvant un café près des bus sédentaires qui, nostalgiquement, nous ramènent aux sixties.

Je me couche tôt parce que demain c'est trek à l'aube mais je suis obligé d'évacuer par une intervention aussi ferme que lourde de reproches 3 couples d'allemands qui avaient décidé de discuter fort à 50 centimètres de ma tente...  à 1 h 30 du matin.

[carnet de bord] 21 & 22 juillet


21 juillet

Au matin, formidable rayon de soleil rasant sur la haut du campement.
Dessin sur les chutes de Dettifoss puis bus pour Reykjalid, au bord du lac Myvatn à 13 h 30.




Je papote avec 3 français dans le bus, de ceux qui achètent un pass bus qui leur permet de faire le tour de l'Islande comme ils le souhaitent et qui, ce faisant, vont et viennent et essayent "d'en faire le plus possible". Si je suis — bien-sûr —, également un touriste parmi les touristes, c'est une autre philosophie du tourisme qui m'anime.
15 h. Planté de tente puis cours petit supermarket : frais salade pomme confiture yaourt. En Islande, il ne semble pas y avoir de boutiques (Je ne suis pas allé à Reykjavik, je ne sais pas comment c'est en ville). Tout est dans de petits supermarchés souvent associés à la pompe à essence du coin.
Sieste puis ballade courte dans le bled, réduit à sa plus simple expression dans un champ de bulles de laves figées.
21 h extinction des feux avec des boules Quies. C'est la première fois de ma vie que j'en mets.
Je m'endors en pensant aux modes possibles de restitution de ce voyage.

Notes : Ça pourrait peut-être passer par de la sculpture avec le répertoire de formes si variées et fantastiques qu'on voit ici.
Je pense aux descriptions des déserts dans les nouvelles de J.G. Ballard.
- extraits Ballard ?
Où alors une performance. Mais je pense à des spectacles déjà très forts, ceux de Bjôrk avec les arcs électriques sur scène, bien-sûr et celui de Barcelo à Avignon, avec l'argile.
Thunderbolt live Björk


Paso doble Josef Nadj et Miquel Barcelo


Voir ici un entretien entre Paul Ardenne et Barcelo sur le site des actes des colloques du musée de quai Branly.

On pourrait rajouter le surprenant travail de miniatures de Eszter Burghardt et les papiers froissés de Brendan Austin


22 juillet

lever 7 heures après cette nuit Quies tip top. La crève est partie.
Encore un super rayon de soleil au matin : en fait, c'est parce que le soleil se levant est au-dessous de la couche de nuage pourtant très basse. Extra.
C'est parti à 8 h 00 sur la piste du volcan Hverfell. Traversée de champ de laves + d'une faille extraordinaire. On a l'impression d'être entre deux plaques tectoniques qui s'affrontent.

Photo post-voyage Islanduchronie III. Florian Ledoux. Même point du vue que j'ai vécu, on a l'impression très nette d'être à cheval sur deux plaques tectoniques.
Le volcan est un immense désert.
Cliché n° 4 pour l'album Islanduchronie II avec Karen Liljebjelke, allemande de passage.
Par karen Liljebjelke, la photo 5, le 22 juillet, au haut du volcan Hverfell, près Reykyahlid (Mytvan).


Ça me refait penser qu'un projet photographique sur un voyage en Islande pourrait être celui de clichés à 360°. Ici, c'est un monde ouvert sur l'espace circulaire.


Tour du cratère en 1 heure, descente puis traversée de la plaine vers le krafla.
 
Pris le chemin derrière les crêtes qui semble s'appeler la Nonbungur. Perdu la piste dans le champ de lave noire, mais ça m'a permis d'observer de près de magnifiques exemplaires de coulées de lave cordée. On dirait de véritables bronzes d'après moulages de véritables cordes.
Un petit hotdog pas bon à l'entrée du site du Hofur et dérive dans ce champ de laves fumantes, de fumerolles. Exceptionnelle sensation d'être au cœur d'une activité volcanique.
Descente vers l'usine de géothermie.


Bande son : 45:33 de LCD SOUND SYSTEME
Alors que le marcheur s'est transformé en dessinateur, un japonais ivre de prises de vues numériques gré son 4X4 dans le cadre, bondit sur l'asphalte et prend cliché sur cliché des tuyaux coudés qui traversent la voie, au centre du complexe géothermique de Krafla, près de Reykjalid. C'est l'illustration parfaite du sentiment de toute puissance des photographieurs. Le dessinateur encaisse et avale le photographier.


cliché n°5 pour l'album Islanduchronie II avec le photographe japonais
Je fais du stop pendant 3/4 h mais ça ne marche pas. Je décide de faire les 10 bornes qui restent à pied mais une des 2 frangins avec deux 4x4 (des types qui s'occupent de la piscine de Reykjalid) me prend et me dépose au camp.
En calculant, je m'aperçois que j'avais déjà crapahuté 30 km.



Super douche revigorante, acheté le billet bus pour Landmannalaugar (la piste s'appelle la Sprengisandur) demain 8 h 00.

Peu de porosité dans les campings entre les différents types de touristes. Je m'aperçois que le fait de demander à quelques personnes de me prendre en photo et de me les envoyer par mail suscite curiosité et intérêt et crée une petite passerelle. C'est l'objectif de l'album Islanduchronie II
.

[carnet de bord] 25, 26 & 27 juillet


25 juillet

Réveil 5 h 30. Rayon de soleil désormais habituel sous la couche de nuage.
Le temps paraît mauvais quand-même. Pliage + lyo. Départ de la marche 6 h 30 : à nous deux la Laugavaudur.
Pluie, vent, pluie, brouillard intense jusqu'à la première étape, le refuge de Hraftinhusker. Pas vu grand chose si ce n'est des fumerolles au pied desquelles on marche. On peut se perdre rapidement parcqu'on ne voit pas forcément bien les poteaux de la piste. Je suis à la limite.
Premier sur la piste, je ne croise quelqu'un qu'au bout de 2 heures : "You are a earlier walker" — "yes, always".
3 heures de marche. Je ne m'arrête pas, et continue vers Alfavatn.
Dans la descente vers Alfavatn, tout se dégage. Une vue et variété de paysages extra.
12 h. Faux-mouvement en remettant une chaussure après le gué du bas : arrêt de la compet' et du sentiment d'invicibilité : mon mollet gauche sonne l'alerte : "Arrête de déconner à essayer d'aller au max, cool, sinon je craque".
Rencontré une marcheuse anglaise qui paraissait planer. "Are you alone ?" "No, i'm waiting my group". "Are you alright". "Oh, great !".
Sauf que je l'ai recroisée à Alftvatn et qu'elle est mytho, parce qu'elle raconte la même chose à tout le monde mais qu'en fait elle voyage seule ; elle paraît comme égarée.
A Alfavatn, soleil génial. Lyo sur les terrasses en bois, auto-massage de mollet : "Continue à me faire du bien, peut-être que je m'endormirai".

Super aménagements du site. Discussions avec deux français avec un accent du sud-est qui me vantent les cacahuètes comme coupe-faim.

Dieter est allemand. Avec ses copains de Dortmund, il marche sur la laugavaudur. Son groupe est très organisé et concentré sur l'aventure de la marche. Il est très heureux d'être arrivé à Alfavatn, un très beau site au bord d'un grand lac calme. Il fait juste un peu la moue en évoquant son amie Christina qui téléphone à sa famille. "Elle est toujours connectée même quand on marche. Hier, elle a commandé un nouveau canapé par internet". Le marcheur demeure interdit devant tant de continuité et de cohérence.
J'avais prévu de m'arrêter là, mais je suis OK pour continuer et je vais à Hvangill à 1 heure de marche.
Planté de tente sur un petit camp à côté d'allemands qui m'offrent du chnaps.
Image pré-voyage / album islanduchronie II - Hvanngil Ómar Smári Kristinsson
Ballade au soir vers la rivière, une chute et un pont. Repérage pour demain matin. J'ai décidé d'aller vers le Mælifell et Strutur : le temps semble OK.
Rencontré une fille en solo qui semblait souffrir d'un sac trop lourd.
Lyo . J'ai sûrement fait 35 bornes aujourd'hui : dodo 20 h 30.


26 juillet


Levé 6 h 30..
Discuté avec la fille rencontré la veille. Elle a un sac de 20 Kg en pesant elle-même 58. Elle voulait vivre ce truc seule mais elle s'est mal préparée. Elle le sait mais veut continuer. Courage ! Je vais dans l'autre sens, sinon je l'aurais soulagé de qqs kg.
Départ 7 h 30

Le très beau pont de bois près de Hvangill, au crossroad de la F210.

Marche EXTRAORDINAIRE sur la piste F210, vers le Mælifell. Désert noir et plat, le glacier Myrdalsjökull à droite, de plus en plus près.
S'il pleuvait, ce serait la grosse galère, mais le temps s'éclaircit de plus en plus.
Un gué.
Je me pince : le Mælifell !






La photo du Mælifell par Yann-Arthus Bertrand qui m'avait donné l'envie d'aller voir.
Maintenant, en route vers la nord et Strutur.
Un gué.
Je passe devant le refuge en pensant que ce n'est pas lui, qu'il est plus loin.
Le refuge de Strutur, le struturskali.
Manque de lucidité, continue sur le sentier vers le Strutlaug puis m'engage dans la vallée de Strutsgil.
N'importe quoi, je rebrousse chemin en renonçant pratiquement à rejoindre Strutlaug, même demain ; (pourtant plus qu'à 1 heure, mais je suis crevé).
Arrivée au refuge Strutskali 14 h, ouvert, vide, rangé et super clean. Entièrement seul !
Une antique cuisinière à gaz, un faîtou d'eau chaude frémissante, laver le linge, dessiner, contempler, constater chaque instant la chance d'être ici seul.

Bande son : Hapiness d'ELLIOT SMITH
Le voyageur hésite à inscrire ce chapitre au récit. C'est un des lieux secrets du rêve accompli, une des étapes de "l'ici et maintenant vécu". Le marcheur, dans sa longue approche au travers du black désert avait bien croisé un cortège improbable de neuf 4X4 dernière génération bourrés de passagers de tous âges. Il ne se doutait pas — illuminé qu'il était alors par l'opalescence du glacier gris-blanc sur le gris-noir du désert —, que ces familles avaient quitté Struturskali, propre et rangé, laissant pour seule trace de la semaine écoulée quelques mots dans le livre d'or. Conquis de haute lutte pédestre, le refuge, isolé face au Mælifell, s'est alors offert au marcheur, seul. Tout au long des quelques heures de la nuit d'été islandaise il s'est réveillé, euphorique et ivre de sa solitude, pour se regarder dormir.

Des averses au loin avec des arc-en-ciel sur le Mælifell.




Un 4x4 arrive avec une famille de fermiers de Klaustur qui baladent un cousin qui vit au Danemark. Discussion  avec la femme qui se termine par — je cite en traduisant : "Bon, c'est pas l'tout, mais faut que j'aille traire les vaches". Authentique.
Elle m'a appris à prononcer Kirkjubæjarklaustur.
Semoule.
Une nuit in-tranquille, sur-excité, me réveillant et me levant toutes les heures pour me "regarder dormir", prendre la mesure du plaisir d'être dans cette situation.
Je vois enfin la pénombre de la "nuit", pénombre d'ardoise, comme si on avait baissé d'intensité le soleil halogène.



27 juillet

Lever 6 heures. Tout bien rangé comme c'était en arrivant.
Ablutions avec l'eau chaude frémissante.. bye 6 h 30.

Bye, bye, struturskali.


Re-traversée du désert sous un soleil de ouf.

Le marcheur chausse ses lunettes modèle pittbull de chez Oaxley. Le message : que personne ne bouche le passage. Les fonctions : super visibilité, anti poussière et anti vent dans l'œil, solaire. L'image : tête de con mais confort extrême.


Je ré-apprend le sens des distances.
(Dans ces cas-là, je repense toujours à l'extraordinaire texte de Mark Z. Danielewski "La maison des feuilles". Un site qui essaye de faire le tour de la question.)

Un ciel totalement dégagé. 10 h 30 crossroad Hvangill. Poursuite sur la Laugavaudur vers le refuge Botnar (appelé aussi Emstrur)
Cliché n°7 avec un jeune couple bab extrèmement sympathique.
Arrêt popote lyo parmentier à un petit col. paysages moins intéressants, mais il faut dire qu'après le black désert du Mælifell, ça fait ici un peu déclassé.
Botnar 13 h 00. Je décide de continuer sur Thorsmork. Je compte 4 heures.
Beau gué.
Arrivée 19 heures, lessivé ; donc 5 heures en fait.
J'ai choisi d'aller au camping avec le resto. Bouffe islandaise en buffet très cher (23 €) mais super repas roboratif après la marche d'aujourd'hui. Une nana avec percing et dreads s'en met encore plus que moi dans le ventre.

Le proprio du resto (qui parle très bien français) installe à l'arrache un vidéo-projecteur avec connection wifi. Il projette la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Londres. Affluence.
Voilà, le trek Laugavaudur proprement dit, c'est fait.
J'ai recopié les distances sur un panneau :
Landmannalaugar / Hraftinhusker : 12 km
Hraftinhusker / Alftavatn : 12 km
Alftavatn / Emstrur : 16 km
Emstrur / Thorsmork : 16 km
Thorsmork / Skogar : 24 km
On s'en fait une grosse histoire avant et puis on se rend compte que c'est une très belle marche mais facile, sans grands dénivelés. Par beau temps c'est quasi promenade en montagne.
C'est lorsqu'il fait mauvais que ça doit commencé à être dur.
On comprend qu'il faut être préparé à marcher longtemps aussi, si l'on veut doubler les étapes parce qu'alors, c'est quand même long.
Et puis bien préparer son sac entre poids à porter et réserves de bouffe, parce qu'il n'y a rien à croûter sur ces terres.
22 h dodo total naz ; j'ai quand-même fait + de 45 bornes dans la journée.

[carnet de bord] 28 & 29 juillet


28 juillet

Levé 7 h 30 - quasi grasse mâtinée. café au café.
Décide de rester la journée dans la vallée de Thorsmörk et d'aller le soir planter la tente de l'autre côté, à Basar, pour partir au plus près demain matin.
Ballade cool en haut d'une petite montagne, le Valahnükur, d'où l'on surplombe les deux vallées. 360° intégral.



Rencontré deux botanistes anglais à la retraite qui passent 6 mois en Islande et recensent les problèmes d'érosion et de pousse des arbres.

Cliché n°7 avec eux.


Rencontré une fille solo qui a peur du loup. Il faut dire que le loup prend ici souvent l'aspect d'un viking hagard au sortir d'une marche qui le laisse affamé de désir, etc.

Dessin d'un bouleau pour les botanistes.



Déjeuner au resto, faut pas se priver, mais je ne mangerai pas ce soir.

Pliage de tente et déplacement vers Bazar. Remontée de la petite montagne, descente sur Langigadur, puis traversé de la Krossa.




Rencontré un québecquois et nous commentons les mérites comparés de nos tentes "big agnes" respectives.

Le camp de Basar est au milieu des arbres, bourré d'islandais en vacances. C'est plutôt une très bonne ambiance.


Bande son : I'm the boy de SERGE GAINSBOURG
A Basar, un des 3 campings de la vallée glaciaire de Thorsmork, des groupes de marcheurs, souvent des couples, rarement des solitaires, côtoient joyeusement des familles islandaises en vacances. Stella, islandaise androgyne s'amuse de mes dessins et prétend qu'elle ferait un bon modèle. Possible.

Au soir, dessins de 4 x 4. Je suis plutôt en forme là.


D'ailleurs, voir l'ensemble du Catalogue 4 x 4.

Dodo tôt alors même que, stupéfait, je viens de lire sur un panneau : Quiet hours from 2 A.M. to 7 : hours. Ça promet.


29 juillet

réveil 5 h 30 départ 6 h. Ça ne rigole pas on attaque le Fimmvörduhals.
Soleil d'enfer, rudes montées.
Vers 9 h, croisé 3 personnes dont mon clone juste avant le volcan (à moins que ça ne soit le contraire).


Bande son : Kashmir de LED ZEPPELIN
L'Eyjafjallajökull s'est réveillé en 2010. Des coulées de laves et de cendres se sont déversées en suivant deux ravins différents, coupant en deux la Laugavaudur. Le marcheur — et la marcheuse car ces pentes sont très courues par les deux sexes —, arpente donc désormais un sentier marqué dans une alternance de laves et de glace, au milieu des fumerolles. Allongé sur un lit de paillettes souffrées, il peut jouir également de la chaleur du volcan et accorder animalement sa respiration sur celle, syncopée, du ré-endormi.


Après le volcan, vers le col, un vent infernal. Arrivée à 11 h au refuge abandonné Baldvinsskalli, dégueulasse, mais protection contre le vent en tempête.
Lyo et c'est reparti. Le ciel est obscurci par la poussière de lave et cendres. On ne voit pas la mer pourtant en contrebas..
Longue descente le long de de la Skoga. Beaucoup de belles chutes.
Arrivée à Skogar à 14 h 30. 8 h 30 de marche.

Bande son : Quand j'aime une fois de RICHARD DESJARDINS
Au sortir du Fimmvörduhals, le col qui permet de passer de Thorsmork à Skogar, dans un vent violent et glacé — entre laves grumeleuses et névés congelés —, suivis de pentes déchaussantes, après neuf heures de marche, c'est une joie de découvrir Skogafoss. Maria et ses amis espagnols sont contents d'en avoir fini : "C'est plus dur que les chemins de St Jacques de Compostelle".
par Chantal Guilhonato, le cliché n°8, le 29 juillet 2012, au pied de la chute Skogafoss, à Skogar, terminus de la Laugavaudur
Skogar n'est même pas un bled, c'est juste un camp 2, 3 fermes et 2 hôtels. Qqs courses à 3 fois le prix dans un des hôtels. Tel à Cat au comptoir.
Sieste.
18 h ballade en direction de la mer.


Bande son : Ho Daddy de FLEETWOODMAC
A Skogar, dans la soirée lumineuse, j'ai voulu chercher la mer ; trop éloignée de la route n°1, je n'ai trouvé que des prairies fraîchement fauchées — alternés de vastes champs de cendres noires —, et le ronronnement familier d'un tracteur identique à ceux de la Mayenne ou du Cantal.

Dodo à 10 h claqué. D'ailleurs tout le monde dort tôt autour de moi, tout le monde est décalqué.