[carnet de bord] 25, 26 & 27 juillet


25 juillet

Réveil 5 h 30. Rayon de soleil désormais habituel sous la couche de nuage.
Le temps paraît mauvais quand-même. Pliage + lyo. Départ de la marche 6 h 30 : à nous deux la Laugavaudur.
Pluie, vent, pluie, brouillard intense jusqu'à la première étape, le refuge de Hraftinhusker. Pas vu grand chose si ce n'est des fumerolles au pied desquelles on marche. On peut se perdre rapidement parcqu'on ne voit pas forcément bien les poteaux de la piste. Je suis à la limite.
Premier sur la piste, je ne croise quelqu'un qu'au bout de 2 heures : "You are a earlier walker" — "yes, always".
3 heures de marche. Je ne m'arrête pas, et continue vers Alfavatn.
Dans la descente vers Alfavatn, tout se dégage. Une vue et variété de paysages extra.
12 h. Faux-mouvement en remettant une chaussure après le gué du bas : arrêt de la compet' et du sentiment d'invicibilité : mon mollet gauche sonne l'alerte : "Arrête de déconner à essayer d'aller au max, cool, sinon je craque".
Rencontré une marcheuse anglaise qui paraissait planer. "Are you alone ?" "No, i'm waiting my group". "Are you alright". "Oh, great !".
Sauf que je l'ai recroisée à Alftvatn et qu'elle est mytho, parce qu'elle raconte la même chose à tout le monde mais qu'en fait elle voyage seule ; elle paraît comme égarée.
A Alfavatn, soleil génial. Lyo sur les terrasses en bois, auto-massage de mollet : "Continue à me faire du bien, peut-être que je m'endormirai".

Super aménagements du site. Discussions avec deux français avec un accent du sud-est qui me vantent les cacahuètes comme coupe-faim.

Dieter est allemand. Avec ses copains de Dortmund, il marche sur la laugavaudur. Son groupe est très organisé et concentré sur l'aventure de la marche. Il est très heureux d'être arrivé à Alfavatn, un très beau site au bord d'un grand lac calme. Il fait juste un peu la moue en évoquant son amie Christina qui téléphone à sa famille. "Elle est toujours connectée même quand on marche. Hier, elle a commandé un nouveau canapé par internet". Le marcheur demeure interdit devant tant de continuité et de cohérence.
J'avais prévu de m'arrêter là, mais je suis OK pour continuer et je vais à Hvangill à 1 heure de marche.
Planté de tente sur un petit camp à côté d'allemands qui m'offrent du chnaps.
Image pré-voyage / album islanduchronie II - Hvanngil Ómar Smári Kristinsson
Ballade au soir vers la rivière, une chute et un pont. Repérage pour demain matin. J'ai décidé d'aller vers le Mælifell et Strutur : le temps semble OK.
Rencontré une fille en solo qui semblait souffrir d'un sac trop lourd.
Lyo . J'ai sûrement fait 35 bornes aujourd'hui : dodo 20 h 30.


26 juillet


Levé 6 h 30..
Discuté avec la fille rencontré la veille. Elle a un sac de 20 Kg en pesant elle-même 58. Elle voulait vivre ce truc seule mais elle s'est mal préparée. Elle le sait mais veut continuer. Courage ! Je vais dans l'autre sens, sinon je l'aurais soulagé de qqs kg.
Départ 7 h 30

Le très beau pont de bois près de Hvangill, au crossroad de la F210.

Marche EXTRAORDINAIRE sur la piste F210, vers le Mælifell. Désert noir et plat, le glacier Myrdalsjökull à droite, de plus en plus près.
S'il pleuvait, ce serait la grosse galère, mais le temps s'éclaircit de plus en plus.
Un gué.
Je me pince : le Mælifell !






La photo du Mælifell par Yann-Arthus Bertrand qui m'avait donné l'envie d'aller voir.
Maintenant, en route vers la nord et Strutur.
Un gué.
Je passe devant le refuge en pensant que ce n'est pas lui, qu'il est plus loin.
Le refuge de Strutur, le struturskali.
Manque de lucidité, continue sur le sentier vers le Strutlaug puis m'engage dans la vallée de Strutsgil.
N'importe quoi, je rebrousse chemin en renonçant pratiquement à rejoindre Strutlaug, même demain ; (pourtant plus qu'à 1 heure, mais je suis crevé).
Arrivée au refuge Strutskali 14 h, ouvert, vide, rangé et super clean. Entièrement seul !
Une antique cuisinière à gaz, un faîtou d'eau chaude frémissante, laver le linge, dessiner, contempler, constater chaque instant la chance d'être ici seul.

Bande son : Hapiness d'ELLIOT SMITH
Le voyageur hésite à inscrire ce chapitre au récit. C'est un des lieux secrets du rêve accompli, une des étapes de "l'ici et maintenant vécu". Le marcheur, dans sa longue approche au travers du black désert avait bien croisé un cortège improbable de neuf 4X4 dernière génération bourrés de passagers de tous âges. Il ne se doutait pas — illuminé qu'il était alors par l'opalescence du glacier gris-blanc sur le gris-noir du désert —, que ces familles avaient quitté Struturskali, propre et rangé, laissant pour seule trace de la semaine écoulée quelques mots dans le livre d'or. Conquis de haute lutte pédestre, le refuge, isolé face au Mælifell, s'est alors offert au marcheur, seul. Tout au long des quelques heures de la nuit d'été islandaise il s'est réveillé, euphorique et ivre de sa solitude, pour se regarder dormir.

Des averses au loin avec des arc-en-ciel sur le Mælifell.




Un 4x4 arrive avec une famille de fermiers de Klaustur qui baladent un cousin qui vit au Danemark. Discussion  avec la femme qui se termine par — je cite en traduisant : "Bon, c'est pas l'tout, mais faut que j'aille traire les vaches". Authentique.
Elle m'a appris à prononcer Kirkjubæjarklaustur.
Semoule.
Une nuit in-tranquille, sur-excité, me réveillant et me levant toutes les heures pour me "regarder dormir", prendre la mesure du plaisir d'être dans cette situation.
Je vois enfin la pénombre de la "nuit", pénombre d'ardoise, comme si on avait baissé d'intensité le soleil halogène.



27 juillet

Lever 6 heures. Tout bien rangé comme c'était en arrivant.
Ablutions avec l'eau chaude frémissante.. bye 6 h 30.

Bye, bye, struturskali.


Re-traversée du désert sous un soleil de ouf.

Le marcheur chausse ses lunettes modèle pittbull de chez Oaxley. Le message : que personne ne bouche le passage. Les fonctions : super visibilité, anti poussière et anti vent dans l'œil, solaire. L'image : tête de con mais confort extrême.


Je ré-apprend le sens des distances.
(Dans ces cas-là, je repense toujours à l'extraordinaire texte de Mark Z. Danielewski "La maison des feuilles". Un site qui essaye de faire le tour de la question.)

Un ciel totalement dégagé. 10 h 30 crossroad Hvangill. Poursuite sur la Laugavaudur vers le refuge Botnar (appelé aussi Emstrur)
Cliché n°7 avec un jeune couple bab extrèmement sympathique.
Arrêt popote lyo parmentier à un petit col. paysages moins intéressants, mais il faut dire qu'après le black désert du Mælifell, ça fait ici un peu déclassé.
Botnar 13 h 00. Je décide de continuer sur Thorsmork. Je compte 4 heures.
Beau gué.
Arrivée 19 heures, lessivé ; donc 5 heures en fait.
J'ai choisi d'aller au camping avec le resto. Bouffe islandaise en buffet très cher (23 €) mais super repas roboratif après la marche d'aujourd'hui. Une nana avec percing et dreads s'en met encore plus que moi dans le ventre.

Le proprio du resto (qui parle très bien français) installe à l'arrache un vidéo-projecteur avec connection wifi. Il projette la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Londres. Affluence.
Voilà, le trek Laugavaudur proprement dit, c'est fait.
J'ai recopié les distances sur un panneau :
Landmannalaugar / Hraftinhusker : 12 km
Hraftinhusker / Alftavatn : 12 km
Alftavatn / Emstrur : 16 km
Emstrur / Thorsmork : 16 km
Thorsmork / Skogar : 24 km
On s'en fait une grosse histoire avant et puis on se rend compte que c'est une très belle marche mais facile, sans grands dénivelés. Par beau temps c'est quasi promenade en montagne.
C'est lorsqu'il fait mauvais que ça doit commencé à être dur.
On comprend qu'il faut être préparé à marcher longtemps aussi, si l'on veut doubler les étapes parce qu'alors, c'est quand même long.
Et puis bien préparer son sac entre poids à porter et réserves de bouffe, parce qu'il n'y a rien à croûter sur ces terres.
22 h dodo total naz ; j'ai quand-même fait + de 45 bornes dans la journée.